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Dans « La Prisonnière de Bordeaux », Patricia Mazuy filme le tête-à-tête entre deux héroïnes aux antipodes

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Deux ans à peine après l’éprouvant Bowling Saturne (2022), polar ultranoir qui avait marqué un état limite de sa filmographie, Patricia Mazuy rebondit avec un nouveau long-métrage qui en serait, sinon l’antithèse, du moins l’antidote. Après une virée sans retour dans l’enfer de la violence masculine, voici cette fois un drame psychologique plus ramassé où domine la sociabilité féminine.
La Prisonnière de Bordeaux, l’un des moments forts de la Quinzaine des cinéastes à Cannes en mai, organise en effet le tête-à-tête entre deux héroïnes aux antipodes, et à travers elles deux comédiennes de taille : d’un côté Isabelle Huppert, qui retrouve Mazuy pour la deuxième fois, vingt-quatre ans après Saint-Cyr (2000), de l’autre Hafsia Herzi, qui livre une prestation intensive et concentrée – les deux venant, par ailleurs, de partager l’affiche dans Les Gens d’à côté, d’André Téchiné, sorti le 10 juillet. Film d’actrices doublé d’une fine étude de caractères : le cocktail peut paraître inhabituel de la part d’une cinéaste aussi pugnace que Mazuy, mais n’y voir que motif à édulcoration serait aller un peu vite en besogne.
Deux femmes, donc, se rencontrent dans l’antichambre d’une prison de Bordeaux. L’une, Mina (Herzi), blanchisseuse d’une cité de Narbonne (Aude), élève ses deux enfants et fait près de 400 kilomètres pour se rendre au parloir. L’autre, Alma (Huppert), croupit seule dans sa grande maison bourgeoise en ruminant son mariage raté avec un neurologue arrogant et ses espoirs évaporés. Toutes deux vivent dans un rapport suspendu à des hommes incarcérés, l’un pour avoir braqué une bijouterie, l’autre pour avoir fauché deux passantes au volant. Sur un coup de tête, Alma propose à Mina de venir vivre à ses côtés, dans sa demeure abritée derrière une haute porte cochère. Et voilà que s’invente, au jour le jour, une amitié transversale, bientôt minée par les dettes morales et financières qui poursuivent la prolétaire.
Dans un nombre restreint de décors allant de la maison à la prison, le film travaille d’abord sur le glissement de sens opéré par le titre : de quoi ces femmes de prisonniers sont-elles à leur tour prisonnières et qui fait qu’elles se désignent mutuellement par le terme de « codétenues » ? La réponse, différente pour chacune, n’en recouvre pas moins les contours d’une condition sociale : soit, pour Mina, l’aiguillon incessant d’une précarité qui ne laisse d’autre recours que ruse et force de travail, et, pour Alma, un mariage aux allures de chantage économique refermé sur elle comme un piège.
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